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Vieux Pistons du Cotentin
19 août 2012

Une histoire pour motards

 

 Aujourd'hui, pas de photos mais une amusante histoire écrite par Patrick. Merci à lui de mettre ses talents d'écrivain au service de notre passion.

Bonne lecture à tous.

La Culbutée

 «  Un moteur culbuté donne davantage de sensations »

  En cette année de l'Entre-deux -Guerres, les routes, plus ou moins entretenues, s'agrémentent volontiers de nids-de-poules, les motocyclettes compensent leur absence de suspension arrière en offrant au passager un tan-sad monté sur ressort(s), le moteur monocylindre longue -course compense sa modeste puissance en développant un couple à bas régime qui se traduit, dès le ralenti ou presque, si on « ouvre » franchement les gaz, par la sensation dite du «coup de pied au c...», dans laquelle on peut pratiquement compter les coups de piston avec les fesses. L'accélération est alors assez brusque au démarrage, même si ensuite, comme le dit une revue anglaise1 « une fois lancé, quand on ouvre les gaz sur route, il faut donner au moteur le temps de construire son accélération »... Rien à voir donc avec les montées en régime sifflantes et fulgurantes d'un moderne 4 cylindres à double arbre à cames en tête! Mais ces caractéristiques antédiluviennes pouvaient réserver des surprises.

 Par cette belle journée de printemps, Roger a hâte d'essayer avec Madame leur nouvelle acquisition, une 350 centimètres cubes culbutée dont il vient de terminer la mise au point après plusieurs jours de nettoyages et d'efforts. C'est une moto achetée d'occasion en remplacement de la fidèle mais paisible 250 à soupapes latérales qu'il a revendue après avoir persuadé sa femme qu'une machine à soupapes en tête et culbuteurs porterait plus vigoureusement la charge de deux personnes. Il faut dire que Germaine n'est pas spécialement fluette, toute femme autre que gentiment potelée et bien en chair ne pouvant être aux yeux de Roger qu'une citadine égarée par le culte de la maigreur, voire une « parisienne » faiseuse de chichis et incapable de se contenter d'une vie simple en donnant du bonheur à son mari. « Tu verras », lui a-t-il répété, « un culbuté, ça donne davantage de sensations. »

 Germaine ignore tout du moteur culbuté mais ne demande qu'à croire en ses vertus, tandis que Roger attend impatiemment de juger la différence. Il a calé l'allumage au petit poil et à la feuille de papier à cigarettes, il a peaufiné la carburation.

Il fait beau, la vie est belle, il n'y a plus qu'à débéquiller la machine, la faire rouler sur l'allée de graviers jusqu'à la route et, casques bouclés, se mettre en selle, lui d'abord, puis, l'équilibre assuré, la passagère : « vas-y, tu peux monter ». Roger est prêt à faire profiter son couple du fruit de ses efforts, à faire légitimement admirer ses talents de mécanicien et de pilote... et à se faire pardonner du même coup toutes ses absences, car il a beaucoup déserté le foyer au profit du petit garage du jardin, sauf il est vrai quand il ramenait à la maison une petite collection de pièces fleurant bon le cambouis avant de les étaler confortablement sur la toile cirée de la table pour mieux s'en occuper, tandis que Germaine a le coin de l'évier pour préparer le repas.

C'est donc l'heure de vérité. La petite route de campagne étire une belle ligne droite jusqu'au bouquet d'arbres, là- bas, au pied de la côte. Les oiseaux chantent dans le petit pommier du jardin: le robinet d'essence est poussé sur O (« ouvert »), l'essence appelée au carbu – compression – décompresseur – et, au premier coup de kick, un beau « poum – poum - poum » bien régulier. La main droite pousse le levier de vitesses au réservoir, enclenche la première et dose la rotation de la poignée des gaz, la main gauche embraye tout en douceur et pousse doucement la manette d'avance. Le moteur répond parfaitement, avec un son plein et rythmé, on prend un peu de vitesse sur la route de campagne où les longues herbes des talus s'inclinent au vent comme une caresse visuelle, tandis que l'air tiède commence à siffler sous le cuir du casque. C'est doucement grisant. En bas de la côte, pourtant, le pilote s'arrête pour écouter le ralenti à chaud : un peu rapide peut-être. Hop, on sort le petit tournevis de la poche du blouson, on donne un petit quart de tour à la vis de butée, puis un sourire complice à la passagère, et vas- y que le pouce met l'avance à fond, que la paume tourne à bloc la poignée des gaz, juste avant le petit nid de poule qu'il n'est plus temps d'éviter, et qu'on attaque la côte plein pot dans une magnifique pétarade qui devient un martèlement de plus en plus rapide avant de se fondre en un ronflement harmonieux. Roger est aux anges. A vrai dire, il n'attendait pas une telle puissance, car sa machine, après tout, n'a rien d'une sportive... Mais peu importe, un tel bonheur se partage. Arrivé en haut de la montée, il coupe un peu les gaz et lance en tournant à peine la tête: « Hein, chérie, tu vois comment elle tire, notre culbutée! Ça au moins c'est quelque chose! »... Pas de réponse. Germaine est-elle à ce point enivrée par l'euphorie de la course? Ou, tout simplement, n'entend-elle pas avec le bruit du vent sous les couvre-oreilles de cuir? Roger ralentit encore, et , tout heureux se retourne... Mais il ne voit derrière lui que la route qui poudroie et l'herbe qui verdoie: Madame, surprise par le brusque à-coup du démarrage, n'a pas eu le temps d'agripper la poignée du tan-sad, elle a vu ses pieds partir et monter en flèche, elle a été culbutée en arrière, et voici qu'elle attend, petite silhouette au bord du chemin, que son tendre époux daigne s'apercevoir de son absence autrement que par les performances inattendues de leur motocyclette, puis qu'il fasse demi-tour, inquiet et penaud, afin qu'elle puisse lui faire clairement savoir ce qu'elle pense de la manière dont il l'a « culbutée ».  

    

1: Classic bike, march 1988, p. 18 (essai de la 600 Panther).

 

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Commentaires
E
Encore , j'attends la suite .....
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